Pourquoi une université du Mouvement Démocrate ?
» Instruisez-vous, parce que nous aurons besoin de toute notre intelligence.
Bougez-vous parce que nous aurons besoin de tout notre enthousiasme.
Organisez-vous parce que nous aurons besoin de toute notre force. «
Antonio Gramsci
Ces mots, Gramsci les avaient inscrits en tête du journal qu’il avait fondé. En dépit de tout ce qui désormais nous éloigne du marxisme, l’interprétation qu’en donna son représentant italien, mort en 1937 dans les prisons de Mussolini et abandonné par ses propres amis politiques, conserve au moins un aspect qui nous concerne encore et sur lequel nous pouvons réfléchir. Gramsci avait parfaitement compris que le combat politique est d’abord un combat au niveau des idées et que l’on ne peut conquérir le pouvoir politique que si l’on parvient à conquérir le pouvoir intellectuel, à faire pénétrer ses idées dans la façon de vivre et de sentir du plus grand nombre.
On peut certes gagner la bataille des idées au rabais, en anesthésiant l’esprit critique par la répétition incessante de slogans simplistes, en inculquant à grand renfort d’appels à l’émotion la stigmatisation de ceux qui pensent autrement , ou bien en réduisant au silence toute voix discordante. Je crois que c’est une stratégie vouée à l’échec parce que, même abêti, l’homme reste un homme et tôt ou tard son intelligence resurgira. Le rêve de transformer un tout un peuple en une armée de robots décervelés n’a jamais pu durablement se réaliser. Gagner la bataille des idées, la gagner durablement, c’est faire fond sur l’intelligence et la conviction mûrie et réfléchie de chacun. Pour convaincre, il faut soi-même être convaincu, savoir pourquoi l’on adhère aux idées que l’on défend, connaître leur histoire, les enjeux qu’elles véhiculent et les horizons qu’elles ouvrent.
Car un mouvement politique n’est pas seulement une machine à gagner des élections. En tous cas, notre mouvement ne peut pas se réduire à cette seule dimension. Un mouvement politique doit véhiculer une conception du monde qu’il doit faire partager, mais il doit la faire partager de façon critique sinon il ne fait que perpétrer une entreprise d’endoctrinement des consciences. Cette dimension critique ne peut s’obtenir que par l’analyse et la confrontation des idées à travers leur histoire et leur sens conceptuel. Ce n’est que par la cohérence de sa conception du monde qu’un mouvement peut grandir car cette conception du monde est la source à laquelle se nourrit son projet de transformation de la politique. La politique n’est pas la soumission à la réalité, mais elle est un projet pour transformer cette réalité et la rendre plus humaine. C’est à partir de cette conception du monde qu’il peut exercer l’hégémonie intellectuelle qui lui permettra ensuite de devenir politiquement dominant. Gramsci écrivait : » Une des caractéristiques les plus remarquables de tout groupe qui s’achemine vers le pouvoir est sa lutte pour l’assimilation et la conquête idéologique des intellectuels traditionnels, assimilation et conquête qui sont d’autant plus rapides et efficaces que le groupe en question élabore en même temps ses propres intellectuels organiques. » Le parti politique se doit d’être un intellectuel collectif qui élabore et diffuse sa conception du monde. Et chacun est requis pour participer activement à l’élaboration de cette conception du monde. » Qu’on doive considérer tous les membres d’un parti politique comme des intellectuels, voilà une affirmation qui peut provoquer les plaisanteries et les caricatures, et cependant, si on n’y réfléchit, rien n’est plus exact. Ce qui importe, c’est sa fonction qui est de diriger et d’organiser, c’est-à-dire une fonction éducative, c’est-à-dire une fonction intellectuelle « . Toute éducation a un caractère global et non spécialisé. Elle permet de développer l’esprit critique et la capacité à une recherche autonome. Il ne s’agit pas d’inculquer passivement une croyance mais de faire fond sur les idées que les hommes ont et de leur fournir les outils qui leur permettront de les élaborer critiquement. Gramsci pensait que » tous les hommes sont philosophes « . Il faut donc partir de la vision que chacun a pour l’enrichir et l’élaborer de façon plus consciente et critique. Nul ne doit renoncer à ses idées, à sa façon de voir le monde, chacun se doit de l’approfondir et c’est par le débat et la confrontation que les idées peuvent s’approfondir.
Que Gramsci ait ressenti cette nécessité de divulguer le marxisme dans les années 1920, c’est bien compréhensible, dans la mesure où le marxisme était une pensée minoritaire qui cherchait à s’élargir. Mais la pensée démocrate n’est-elle pas universellement partagée, au moins dans nos démocraties occidentales ? Quel besoin de la divulguer ? N’a-t-elle pas déjà conquis tout l’Occident ?
La conception du monde démocrate se doit d’être approfondie et divulguée car c’est une erreur de croire que la démocratie est une fois pour toute inscrite dans les institutions et qu’étant définitivement acquise, nous n’aurions plus à nous battre pour la faire vivre. La démocratie n’est pas sur le papier d’une quelconque constitution, elle réside dans la pratique politique quotidienne que vit un pays. S’il n’y a plus de débat, de dialogue véritable, il n’y a plus de démocratie. Si les pouvoirs ne sont pas équilibrés et limités, il n’y a plus de démocratie. Si le pouvoir économique rend vaine la parole du citoyen qui n’a pas d’autre pouvoir que celui de voter, il n’y a plus de démocratie ou tout au moins plus de démocratie vivante, mais un fantôme, un cadavre de démocratie dont seule l’ombre continue à s’inscrire sur les textes constitutionnels. Si la liberté instaurée par la démocratie n’est qu’une liberté formelle qui n’est pas accompagnée de justice, elle se réduit à n’être plus que la » liberté de mourir de faim » comme le dénonçait Guido Calogero.
Il s’agit donc de faire vivre la démocratie au-delà de son inscription sur le papier. La démocratie c’est l’art d’organiser un débat public qui permette à chacun de s’intégrer et à tous de parvenir à une position commune sur les meilleures façons de vivre ensemble, d’équilibrer la liberté et la justice, de donner toute sa place à l’homme dans la société. Et cette démocratie ne vit que si des citoyens conscients et informés la font vivre. John Rawls insistait sur la nécessité de divulguer une » culture démocratique » pour que la démocratie soit une réalité vivante et non un mot vide. C’est cette culture politique démocratique qu’une université ouverte du Mouvement Démocrate aurait pour vocation de divulguer et de promouvoir. Université au sein de laquelle il ne s’agit pas tant de véhiculer des connaissances toutes faites que de susciter des débats et d’organiser le dialogue entre des conceptions différentes. C’est pourquoi cette université devrait, à mon sens, être ouverte à tous ceux qui voudront y participer, y compris ceux qui pourraient venir d’autres horizons, car dans la discussion, les idées ne peuvent que s’enrichir et ressortir plus fortes.
Le but n’est pas tant de persuader pour gagner une élection que de former une sensibilité démocratique, une aptitude au dialogue et à la réflexion, sans lesquelles il est illusoire d‘espérer réformer quoi que ce soit de la société. Husserl qui fut victime du nazisme écrivait dans l’un de ses derniers textes : » la force des idées est plus forte que toutes les forces empiriques » C’est cette force des idées qu’il nous faut mobiliser car c’est seulement par la force des idées que l’on peut avancer durablement.
Nous aussi donc, nous aurons besoin de toute notre intelligence, de tout notre enthousiasme et de toute notre force pour faire cheminer une véritable culture politique démocrate. Une université de notre mouvement serait le lieu où puiser les moyens de cette intelligence, où trouver l’enthousiasme éclairé et la force de nos combats.
Evelyne Buissiere
Participez au lancement de cette université !
Comment concevez vous cette université ?
Nous ferons une synthèse des différentes propositions émisent un peu partout sur le Web Démocrate pour créer un projet de fonctionnement et de structure.
Nous transmettrons ensuite le projet une fois finalisé à François Bayrou